Depuis 2011, nous avons mis en place un conseil en famille avec nos trois enfants, alors âgés de 7 ans 1/2, 6 ans, 3 ans 1/2. Nous avons tâtonné sur la façon dont nous souhaitions le mettre en oeuvre. Et il n'a cessé d'évoluer selon l'âge des enfants, selon les besoins de la famille.
Organiser un conseil de famille, pour quoi faire ? C'est un outil génial où les membres de la famille se réunissent pour
faire participer les enfants à la vie de famille, comme prendre des décisions, expliquer des choix, tenir compte des suggestions,
trouver ensemble des solutions aux difficultés (lors de situations problématiques ou de conflits...),
renforcer les liens,
favoriser l’autonomie des enfants...
Nous avons dès le départ posé un cadre de fonctionnement : J'écoute celui/celle qui parle jusqu'au bout, chacun-e parle à son tour (et peut choisir de ne pas s'exprimer), je ne me moque pas ; je cherche à comprendre ce qui se passe pour l'autre ; quand j'ai un problème, je parle en disant ''je'' ; je ne colporte pas ce qui est dit dans le conseil. Il y a un-e animateur-trice du conseil et une personne qui note les questionnements soulevés, les décisions prises.
Nous démarrons la plupart du temps notre conseil par un temps d'échanges de messages de révélation positifs et de messages-Je d'appréciation, que nous appelons les fleurs, avant d'aborder l'ordre du jour dont les points essentiels ont été généralement notés sur une feuille accrochée dans la cuisine. Ce sont des conflits à réaborder, des projets à propos desquels nous voudrions échanger... Parfois des conflits notés 4 jours avant n'ont plus la même importance en les relisant. Parfois, d'y repenser ça nous connecte à différentes émotions désagréables et c'est révélateur que le problème doit être réabordé.
Comment cela se passe-t-il plus concrètement ?
Nous revisitons la situation du point de vue de chacun, de son vécu (ce qui s'est passé, ce qu'il a ressenti, ses besoins). Chacun s'exprime à son tour. Et la personne cherche des solutions, nous pouvons faire des propositions. Quand il y a un conflit, le conseil permet qu'il y ait une médiation et recherche de solutions qui conviennent à chacun-e.
Nous confrontons parfois : "Je comprends que c'était difficile pour toi dans ce contexte." Nous gardons une marge de manœuvre au niveau du comportement même quand nous sommes furieux ou que nous avons très peur. "Que serait-il possible de faire d'autre ?", "Comment le vois-tu ?", "Comment chacun le voit ?" Nous convenons qu'une prochaine fois, nous nous entraînerons pour un autre comportement, noté sur le cahier du conseil pour faire trace. C'est responsabilisant et non culpabilisant.
Le conseil de famille laisse aussi la place pour présenter ses excuses à l'écrit ou à l'oral mais avec le cœur... Quand c'est un bon moment pour elle et pour l'autre, sans laisser passer le temps non plus.
Une réparation est possible : des valorisations écrites quand il y a eu une dévalorisation ou du temps passé pour l'autre personne comme lui apprendre quelque chose dont elle a besoin, créer une carte à son attention, cuisiner pour elle… Les valorisations peuvent être : "J'ai apprécié t'entendre jouer le morceau de musique hier soir" ; "j'aime jouer à des jeux avec toi" ; "j'apprécie le moment qu'on prend le soir pour se dire bonne nuit", "tu sais faire des gâteaux au chocolat" ; "tu sais t'occuper des animaux" ; "tu sais mettre une selle et un filet à un cheval", etc.
Ce n'est pas une démarche facile. Quand nous nous sentons en colère, nous pouvons être amené à penser que nous sommes dans notre bon droit. Ce qui est important et pédagogique c'est d'être attentif aux stratégies choisies. Même si la colère est adaptée, toutes les solutions envisagées ne le sont pas. Régulièrement, la colère est la partie visible mais en prenant le temps, il peut y avoir d'autres émotions comme la peur, la tristesse. C'est l'expression de ces émotions ''cachées'' qui va aider à retrouver de l'apaisement.
De nombreuses situations sont dénouées avec le temps de conseil en famille (un surnom donné qui ne plaît pas à l'autre, changer de chambre, une répartition de tâches du quotidien...). Cela permet un suivi des situations qui nous gênent, et c'est très rassurant : nous nous occupons du problème. Le conseil permet que des pistes soient explorées, cela ne veut pas dire trouver la meilleure solution, plutôt choisir une ou plusieurs solutions, les expérimenter, les réévaluer, les réajuster. C'est intéressant de demander en conseil : "qu'avons-nous appris de cette situation ?" Cela permet de prendre conscience des compétences affectives et sociales acquises lors de moments de tension, d'observer que le lien dans la famille se tisse également en dépassant ces moments-là, de façon constructive pour tous.
Quelle place pour les émotions dont la colère ?
Les émotions sont-elles écoutées, régulées, lors d'un conseil ou à chaud ou à un autre moment ? L'écoute active reste le moyen le plus efficace et le plus utilisé chez nous pour entendre le vécu de chacun, aller vers un apaisement et ouvrir un espace de communication y compris et surtout sur nos temps de conseil en famille.
Avec des enfants petits (moins de 5 ans), lors d'un fait perturbateur, nous avons utilisé le « STOP !» pour arrêter un comportement : par exemple, quand un enfant veut prendre des mains un jouet. Parfois, nous prenions l’enfant en colère dans nos bras pour éviter dans un premier temps que la situation ne se dégrade puis pour l'aider à exprimer son mécontentement, à s'apaiser, et enfin clarifier la situation. Nous étions attentifs à ce qu'il ne nous fasse pas mal en se débattant. S'il nous demandait de descendre des bras, nous restions proches et le posions. Il nous est arrivé de nous isoler avec l'enfant dans sa chambre ou dans la nôtre, nous posions l'enfant sur le lit et il pouvait se rouler de rage dessus, le temps que la tempête redescende. Parfois nous avons demandé à l'enfant de s'asseoir sur un coin de canapé proche de nous et attendre de se sentir moins fâché avant d'en discuter et d'en repartir. C'est lui qui nous disait quand il se sentait mieux. Nous avons évité d'isoler seuls de jeunes enfants car ils ont besoin d'aide pour tempérer leurs états émotionnels. Vers 5 ans, le conseil a permis de reparler de certaines situations et de réfléchir à quoi faire quand nous sommes en colère par exemple... Quoi faire pour nous sentir mieux, pour dire ce qui ne nous va pas sans me faire mal ni faire mal à l'autre. Quand un de nos enfants en particulier se sentait en colère et percevait qu'il allait dire ou faire quelque chose qui ne se faisait pas, il prenait de grandes feuilles à dessin, des pastels à disposition et gribouillait sa colère. Puis il froissait sa feuille en criant bien fort, en disant « Je suis très en colèèèrreeee ! » et jetait la feuille dans le poêle. C'était très efficace pour exprimer sa colère. Ensuite, nous pouvions en parler. Sur la petite enfance, nous avons aussi proposé un coussin dédié à la colère. Ils pouvaient le gribouiller avec des feutres prévus à cet effet, dire des gros mots, lui taper dessus. Ils adoraient. Ils se sentaient beaucoup mieux après et nous pouvions réaborder la situation.
Nous sommes convenu avec nos enfants plus grands, lors d'un conflit qui semble grandir (j'ai envie d'imposer ma solution, de crier plus fort que l'autre...), en l'absence d'un tiers médiateur possible disponible dans la maison, que chacun va dans sa chambre. Il est possible d'appeler quelqu'un au téléphone pour en parler ou simplement d'attendre le soir pour réaborder la situation ou encore d'attendre que chacun-e soit moins fâché-e (assez souvent réaborder une situation conflictuelle avec du recul et de l'humour suffit à désamorcer le conflit) ou de le noter pour le prochain conseil. Le conseil permet de réaborder dans un cadre sécurisant des situations sensibles, problématiques, qui se répètent.
Solliciter le conseil pour faire évoluer les règles de la maison ou proposer un projet
Par ailleurs, les enfants ont su solliciter le conseil pour faire évoluer les règles de la maison ou proposer un projet. Il peut être nécessaire que plusieurs conseils aient lieu avant qu'un changement ne soit convenu, un projet accepté. Chez nous, chaque enfant a eu de l'argent de poche tôt (50 centimes d'euro vers 5 ans et demi, dès lors qu'il savait compter jusqu'à cent en comprenant les quantités). Cet argent de poche n'était pas conditionné par un comportement, c'était un droit. L'enfant pouvait dépenser cet argent pour ce qu'il souhaitait pourvu que cela ne le mette pas en danger.
Un enfant a eu l'opportunité d'acheter un lapin pour 2 euros à un de ses amis qui en vendait sur le marché pour se faire de l'argent de poche avec l'aide de sa grand-mère. Ce projet ne nous plaisait pas au départ car les animaux impliquent des contraintes. Nous avons pris le temps d'y réfléchir et avons anticipé avec lui :
• Qui va s'en occuper ? Ce que signifie concrètement s'occuper d'un lapin...
• Dans quoi mettre le lapin ? (L'enfant a construit une cage en bois avec son grand-père et son oncle.)
• Nous étions d'accord pour acheter de la paille, du foin et du granulé.
Cela a soulevé un réel enthousiasme dans la fratrie et chaque enfant a pu avoir un lapin... Dès 3 ans pour notre plus jeune, offert par notre aîné... Il y a eu un nombre certain de conseils sur le soin aux lapins, une fois la période d'effervescence passée. Nous savions avant d'accepter que c'était difficile pour un enfant de s'occuper d'un animal sur la durée. Nous n'étions pas d'accord de revenir néanmoins sur ce point. Un enfant a créé un tableau hebdomadaire où chaque enfant s'occupait d'une seule chose à la fois pour l'ensemble des lapins. Il a été inventé pour résoudre un problème de lassitude. Et il a été modifié, amélioré avec les retours de chacun-e lors des conseils. Les enfants ont eu aussi 3 jokers par an pour qu'un adulte s'occupe des lapins à leur place. Le conseil a été l'occasion pendant plusieurs années de créer des ''jokers[1]'' . Chaque personne soumettait au conseil 10 jokers utilisables sur l'année : jouer 2 h ensemble, passer un moment seul-e avec papa, avec maman, avec mon frère, avec ma sœur, laisser deux mois un jeu de construction au salon, avoir un cadeau surprise, acheter un livre, ne pas préparer un repas dans la semaine... Ces jokers étaient en lien avec des besoins, permettaient d'identifier ceux en creux, de se donner une autorisation pour leur faire une place sans attirer l'attention, tomber malade...
Enfin, notre conseil en famille a permis de laisser le choix aux enfants de ne pas partir 6 mois au Québec, de ne pas partir 6 mois en voyage vélo. Ce fut un choix pensé ensemble. Nous avons accepté, leur père et moi, qu'au regard du lien aux amis, à la famille, aux animaux, et de leur joie au quotidien dans les activités qu'ils investissaient, ils puissent dire non à un voyage long.
En conclusion
Notre objectif de parent n'est pas de ''punir'', faire comprendre par la force - ce qui à notre avis est dommageable pour l'enfant, son développement, la relation et est particulièrement peu efficace à long terme - plutôt de stopper les comportements qui sortent du cadre fixé dans la maison, d'inventer de nouvelles façons de faire autres que les prises de pouvoir, par exemple quand nous ne sommes pas d'accord. Cela nous arrive de convenir que nous ne voyons pas les choses de la même façon. Parfois, nous informons que nous allons en reparler au conseil. Nous cherchons dans un premier temps à apaiser les tensions par l'écoute mutuelle, puis à réfléchir ensemble au problème et s'entendre sur un mode d'action. Nous savons qu'être acteurs à résoudre des situations permet aux enfants d'accroître leur confiance en leurs idées, en leurs compétences. Cela permet indéniablement un fort lien de confiance dans la famille, une belle autonomie chez nos jeunes. Et cela a été une forte motivation pour maintenir ces temps de conseil.
Stéphanie Puech, formatrice Gordon et sa famille.
http://epias-education.wixsite.com/parentingblog
Conseil de l'Europe, 1996 : « La participation des enfants à la vie familiale et sociale est essentielle pour garantir un développement harmonieux et les préparer à la vie dans une société libre.(...) Le fait d'écouter les enfants, de traiter les problèmes avec eux, d'accepter leur avis et aussi de leur expliquer pourquoi leurs idées ne sont pas toujours acceptées constitue un moyen important pour lancer une participation. Celle-ci devrait commencer tôt. »
[1]Librement inspiré du joker pour quitter ludiquement la passivité ou joker pour ma santé pour aider les enfants à gérer leur stress de M.J. Dursent Bini
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